Planification interprétative : ce que c’est et pourquoi c’est essentiel
- Comite Editorial I-PAL
- 22 juil.
- 5 min de lecture
Dans le contexte actuel de la gestion du patrimoine, l’interprétation ne peut plus être considérée comme un simple outil de communication ou de vulgarisation. Plus que jamais, elle constitue un élément fondamental dans des domaines tels que la conservation du patrimoine, la médiation culturelle et, bien sûr, la création de liens significatifs entre les publics et les lieux. Pour que ce potentiel transformateur s’exprime pleinement, il est indispensable que l’interprétation résulte d’un processus stratégique et réfléchi : ce que l’on appelle la planification interprétative.

Définition et fondements de la planification interprétative
La planification interprétative est un processus stratégique qui consiste à concevoir, organiser et coordonner des expériences interprétatives permettant de relier les publics à la signification d’un patrimoine culturel ou naturel. Ce processus garantit que l’interprétation ne soit ni aléatoire ni simplement décorative, mais bien alignée avec les objectifs du site.
Selon Brochu (2013), « la planification interprétative est un outil de gestion qui aide à prendre des décisions conscientes sur ce qu’il faut dire, à qui le dire, comment le dire et dans quel but ». Dans cette optique, planifier l’interprétation revient à établir un parcours clair, participatif et contextualisé qui guide la conception des contenus, des supports et des stratégies de communication en fonction des objectifs institutionnels.
L’importance de planifier avec intention
Une interprétation non planifiée risque d’être superficielle, redondante, voire contradictoire avec les valeurs du site. Parmi les bénéfices d’une planification rigoureuse, on peut citer :
L’alignement des messages avec les objectifs du site (qu’ils soient de conservation, d’éducation, etc.)
Une utilisation efficace des ressources financières, techniques et humaines
Une cohérence narrative sur tous les points de contact avec les visiteurs
L’inclusion de voix diverses, notamment celles des communautés liées au patrimoine
La possibilité de mettre en place des indicateurs clairs d’évaluation et d’amélioration continue
Des études comme celles de Curthoys et Cuthbertson (2002) démontrent qu’une planification bien conçue améliore non seulement l’expérience des visiteurs, mais renforce aussi leur engagement environnemental et social.
Le Modèle des 5-M : une structure méthodologique pour la conception interprétative
L’une des méthodologies les plus reconnues au niveau international pour structurer les plans d’interprétation est le Modèle des 5-M, développé par Brochu (2013). Ce modèle identifie cinq composantes interdépendantes à aborder de manière intégrée :
Management (Gestion) : comprend la mission du site, les politiques institutionnelles, les contraintes réglementaires et les objectifs à long terme.
Message : désigne les thèmes centraux et les sous-thèmes qui guident le récit interprétatif.
Media (Supports) : englobe les canaux, formats et outils utilisés (panneaux, guides, applications, spectacles, etc.).
Markets (Publics) : suppose une analyse approfondie des visiteurs réels et potentiels : intérêts, connaissances préalables, caractéristiques sociodémographiques.
Mechanics (Mécanique) : aspects opérationnels tels que le budget, les délais, le personnel, la maintenance et l’évaluation.
Cette approche permet d’adapter le plan interprétatif à divers contextes — naturels, culturels, urbains ou mixtes — tout en conservant un cadre conceptuel à la fois solide et flexible (Brochu, 2013).
Tendances actuelles : vers une planification participative et contextualisée
Ces dernières années, la planification interprétative s’oriente vers une vision collaborative, attentive aux réalités sociales et respectueuse de la diversité culturelle et naturelle. Parmi les bonnes pratiques, on peut citer :
L’utilisation de méthodologies participatives, comme au Parc Archéologique de San Agustín (Colombie), où les communautés locales ont co-construit des messages interprétatifs fondés sur la tradition orale (ICANH, 2016) et les cercles d’histoire communautaire (Curthoys, Cuthbertson et Clark, 2012).
L’articulation entre interprétation et mémoire, comme dans l’Espace Mémoire ESMA (Argentine), où la conception interprétative a été réalisée avec les victimes, leurs familles et des organisations sociales (Jelin, 2017).
L’intégration interculturelle, comme dans la Réserve Rincón de Santa María (Argentine–Paraguay), où des communautés indigènes ont participé à la conception d’expériences en langue guarani, alliant conservation et revitalisation culturelle (Mereles & Yanosky, 2015).
L’intégration entre conservation et interprétation, comme à Volubilis (Maroc), où la planification interprétative faisait partie du plan de conservation des mosaïques archéologiques (Palumbo, 2008).
L’application de processus interprétatifs en milieux urbains complexes, comme dans la ville de Québec, où l’archéologie publique a été associée à des stratégies de communication pour impliquer la population (Moss, 2018).
Ces exemples montrent que la planification interprétative peut — et doit — répondre à la complexité des environnements et des publics, en adoptant des approches interdisciplinaires et éthiquement responsables.
Enjeux professionnels de la planification interprétative
Malgré les progrès réalisés, plusieurs obstacles freinent encore la mise en œuvre de plans interprétatifs efficaces :
Des budgets insuffisants ou mal répartis
Un manque de formation spécialisée du personnel technique
Une articulation faible entre l’interprétation et la gestion institutionnelle
Une participation communautaire symbolique ou superficielle, sans réelle prise en compte des différences internes
Des difficultés à concevoir des systèmes d’évaluation intégrés
Ces défis ont été identifiés dans différentes études de cas et analyses institutionnelles (Castilleja et Castilleja, s.f. ; Ababneh, 2017). Les surmonter nécessite une approche professionnelle rigoureuse, accompagnée de cadres normatifs reconnaissant la valeur stratégique de l’interprétation dans la gestion du patrimoine.
Professionnalisation et formation spécialisée : l’engagement d’I-PAL
Conscients de cet enjeu, chez I-PAL nous travaillons à l’élaboration d’un programme professionnel spécialisé en planification interprétative, visant à établir des standards de qualité et à préparer les professionnels à une certification réglementée.
Ce parcours de formation repose sur le principe que la planification interprétative requiert des connaissances théoriques solides, des compétences techniques, une capacité d’analyse critique et une sensibilité éthique.
Notre objectif est de contribuer à la consolidation d’un profil professionnel fort, capable de conduire des processus complexes, de générer un impact social et de promouvoir une gestion responsable du patrimoine naturel et culturel.
Pour conclure
La planification interprétative n’est ni une étape accessoire ni un simple document administratif. Elle constitue le cœur de toute expérience significative sur un site. C’est également une stratégie qui renforce le lien entre les personnes, l’environnement et la mémoire.
Comme le souligne Brochu (2013) :
« Le plan interprétatif que vous créez sera la base du développement de l’expérience du visiteur. S’il est réfléchi, il motivera et inspirera les personnes qui travaillent sur le site et contribuera à atteindre les objectifs de gestion. En définitive, la personne chargée de la planification peut faire la différence en favorisant le souci de préserver la ressource. »
Planifier, c’est reconnaître que l’interprétation a un pouvoir. Et comme tout pouvoir, il doit être exercé avec intention, avec éthique et avec vision.
Referencias
Ababneh, A. (2017). Situational Analysis of Archaeological Site's Interpretation: Examples from Jordan. SpringerLink.
Bandarin, F. & Van Oers, R. (2012). The Historic Urban Landscape: Managing Heritage in an Urban Century. Oxford: Wiley-Blackwell.
Brochu, L. (2013). Interpretive Planning: The 5-M Model for Successful Planning Projects. Fort Collins, CO: Heartfelt Publications.
Castilleja, M. S. & Castilleja, N. S. (s.f.). Beyond Sustainability: Incorporating Environmental Criteria in Planification, Implementation and Evaluation of Cultural Projects.
Curthoys, L. & Cuthbertson, B. (2002). Listening to the Landscape: Interpretive Planning for Ecological Literacy. Canadian Journal of Environmental Education, 7(2), pp. 223–235.
Curthoys, L., Cuthbertson, B. & Clark, J. (2012). Community Story Circles: Rethinking Epistemology in Heritage Interpretation. Heritage & Society, 5(1), pp. 83–102.
ICANH – Instituto Colombiano de Antropología e Historia (2016). Plan de manejo del Parque Arqueológico de San Agustín. Bogotá: ICANH.
Jelin, E. (2017). La lucha por el pasado: cómo construimos la memoria social. Buenos Aires: Siglo XXI Editores.
Mereles, F. & Yanosky, A. (2015). Conservación biocultural en el Chaco: experiencias con comunidades guaraníes en Rincón de Santa María. Asunción: Guyra Paraguay.
Moss, W. (2018). Archaeological Practice in Québec City: A UNESCO World Heritage City. Journal of Community Archaeology & Heritage, 5(2), pp. 132–145.
Palumbo, G. (2008). Les mosaïques de Volubilis (Maroc): Planification de la conservation et de la gestion. ICOMOS.
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